
Néopaysagiste
Lichen, sommets rocailleux enneigés, champs fleuris, varech ou lignes topographiques: les motifs, ultra-détaillés et pourtant quasi indéchiffrables, de Karine Locatelli parlent assurément de paysage, de territoire, de sauvage.

Néopaysagiste
Karine Locatelli
Distiller l’essence du territoire,
en offrir une interprétation dénudée.
Les traits d’encre, finement et patiemment cumulés sur la toile brute par la main (et la plume) de Karine Locatelli s’empilent, se brouillent, s’éclairent, forment un langage visuel intrigant, hypnotique. Dans son art, on sent la tradition: celle du calligraphe ou du topographe dans la forme, celle du paysagiste dans le fond. Puisque c’est bien ça le sujet: la nature de Charlevoix, région d’adoption de l’artiste désormais basée aux Éboulements qui a fait, dès l’aube de sa carrière, ce mouvement peu commun de choisir la vie rurale, la région, plutôt que l’urbanité, ses galeries, ses centres d’artistes et ses musées. Un choix qui fait du sens avec la démarche, mais aussi le mode de vie de Karine. Elle qui pêche, qui cueille les champignons, comme les chanterelles d’argile qu’on trouve dans son corpus d’oeuvres, elle qui aime expérimenter, mettre les médiums en relation avec sa pratique principale. Pratique qui connait un succès certain alors que ses toiles brutes et nues, criblées d’encre, là pendues sans cadre, là encore montées en forme de cercle, trouvent leur place, oui en galeries mais aussi parmi les collections d’Hydro-Québec, de la Banque TD de Toronto, de la Fondation David Suzuki et du Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul, institution qui lui ouvrait d’ailleurs les portes de sa grande salle en 2024 pour une exposition de ses oeuvres côtoyant, sous le thème du « Dehors », celles de Bruno Côté, un des grands peintres du Québec ayant bâti sa carrière sur le paysage, dont celui de Charlevoix. Le genre de mention qui ne se retrouve pas au CV artistique de beaucoup de jeunes artistes actuels. C’est qu’elle a trouvé dans le secteur de Baie-Saint-Paul un bon terreau pour sa pratique, alors que Charlevoix fait partie de l’inspiration de pleinairistes d'aussi loin que le fameux Groupe des Sept. À cela s’ajoute la communauté d’artistes qui se renouvelle, qui collabore, qui fait parler d’elle; le genre d’esprit de groupe et d’initiatives qui plait à celle qui aime aussi mettre de son temps sur des projets de médiation culturelle. Il faut dire qu’on la sent toujours sincèrement là, présente, impliquée et généreuse dans tout ce qu’elle fait, Karine. Peut-être un art du moment présent et de la connexion développé par le nombre d’heures passées concentrée dans l’acte de coucher ses traits sur le papier, en un geste répétitif, méditatif, proche du pointillisme.










De l’atelier jusqu'à New-York;
un paysagisme poétisant.
Devant l’oeuvre de Karine Locatelli, il est permis de questionner ce qui est vaste et ce qui, au contraire, est micro. Mais c’est surtout la poésie qui s’en dégage. Une poésie que Karine espère au service d’une réflexion sur l’environnement et le rapport au territoire. Pour bien s’immerger dans son travail et son discours, on la visite à son atelier-galerie le long de la route du fleuve, au coeur du village des Éboulements. Sous le toit mansardé qui, jumelé au rouge des murs extérieurs, prend des airs de fermette, on dialogue, on mesure l’importance du geste de l’artiste au travail, on apprécie les oeuvres qui n’ont pas encore pris la route des galeries. Entre champs, mer et montagnes, c’est un petit havre qu’elle retrouve avec joie et douceur au retour de foires et résidences artistiques hors des frontières de Charlevoix. L’hiver dernier, c’était à New York qu’elle créait en vue d’une exposition collective au terme d’une résidence de plusieurs semaines. Si le momentum est bel et bien là et que les portes s’ouvrent pour faire davantage connaître son art ailleurs, comme dans la grosse pomme, Karine Locatelli demeure fidèle à elle-même, à son envie de rester connectée au territoire, de choisir encore et toujours la vie simple à la campagne comme inspiration mais aussi acte du quotidien.


