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Gabrielle Boulianne-Tremblay - La fille d’elle-même

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Paradoxal, dit-elle, que les grands espaces de Charlevoix ne lui suffisaient pas pour se sentir libre… Que dans tout ce vaste territoire de montagnes, de forêts, de fleuve large comme la mer, s’offrant à quelque pas de chez elle, elle n’arrivait pas à trouver une place, sa place. Que le sentiment d’inconfort fasse en sorte que tout l’air pur du monde ne suffise à soulager l’impression d’étouffer sous les regards, les chuchotements des autres… La fuite était imminente, non pas pour se perdre, mais bien pour se trouver, dans une ville si grande qu’il y a là, quelque part, des lieux de liberté bien à soi, une famille choisie, une scène salvatrice… Simplement un espace où exister, assez pour savoir qu’on y a droit, assez pour trouver le courage de se nommer haut et fort, enfin: Gabrielle Boulianne-Tremblay, Gabbie, femme trans.
 

Se porter

Avoir la conviction de porter en soi une fille, alors que le monde te dis que tu as tord. 

 

 

 

Être vu comme un garçon différent, différence mieux acceptée à la maison qu’à l’école, mais quand même un garçon. Savoir que ce n’est pas notre vérité. Et ne même pas avoir les mots pour le dire. C’est important les mots pour Gabrielle, pourtant ceux-ci n’étaient pas encore du vocabulaire de la petite fille, coincée dans un corps de garçon. Sans les mots, difficile d’articuler la pensée, mais le ressenti, lui, n’en a que faire des mots, des étiquettes, des boites, des corps.

L’enfant a envie d’être vue pour ce qu’elle est, quitte à chanter pour les arbres du boisé tout proche, qu’eux au moins la voient. À 11 ans, elle couche sur papier ce qu’elle vit, elle tient son journal comme on se tient à une bouée. Écrire pour les mauvais jours, mais aussi les bons, pour en garder la trace, pour ne pas oublier… La nature est grandiose et généreuse dans son Saint-Siméon natal, et sa famille fait de son mieux: elle est ouverte, aimante, mais elle ne comprend pas tout à fait ce qui habite Gabbie.

Elle-même n’est pas sure de sa valeur, elle souffre, physiquement comme psychologiquement, elle s’isole, elle pense à s’effacer, définitivement… L’adolescence, période ultime de découverte de soi, reste muette pour la fillette qui tend l’oreille, qui ne trouve pas de réponse satisfaisante dans l’écho qu’on lui renvoie d’elle-même… Qui attend juste de pouvoir prendre son envol, tantôt dans les fictions qu’elle écrit, seule dans sa chambre, zone de tout les possibles, échappatoire au réel; tantôt dans la perspective d’un départ vers la ville, une ville où, peut-être, l’attendait des réponses sur cette part d’elle-même. 


 


Se donner naissance

Non elle n’est pas un garçon, pas un homme gai: ce n’est pas ce que son coeur crie, et cette voix de femme, au dedans, a besoin d’être entendue pour savoir qu’elle a le droit d’exister, qu’elle a une valeur.

La vie de Gabrielle à Québec s’ouvre sur de nouveaux horizons. La possibilité d’avoir un entourage choisit. Puis la découverte de tout un univers dans le milieu Queer, une communauté dont l’ouverture d’esprit décloisonne les schémas de pensées imposés jusqu’ici à la jeune femme qui, petit à petit, se dévoile et fait tomber des murs. Il n’y a que la frêle feuille de papier qui porte ses mots, des mots de l’intime, pour protéger Gabbie qui fait des soirées de la poésie la scène dont elle a toujours rêvée. Là, son vécu est validé par ces autres qui l’écoutent. Elle y ressent enfin qu’elle est vue. Elle y ressent enfin un bien-être trop rare. Elle qui, lourde des traumas de l’adolescence, est la proie de l’angoisse, de la crainte des nouvelles rencontres et de l’inconnu. Mais la scène ne peut pas être son unique place dans la société et la femme qu’elle est ne peut plus se farder que le soir. Elle aspire à une dignité toute simple: le droit d’exister en tout, tout le temps, entière.

Elle se donne finalement la chance d’être reconnue pleinement en allant à la rencontre d’un spécialiste en identité de genre. Elle ne porte plus un mal-être sans nom: elle souffre de dysphorie de genre. Ce sentiment d’être née dans le mauvais corps. Ce sentiment d’avoir toujours été une fille, une fille cachée derrière le mauvais rôle. C’est une libération d’être complètement et officiellement validée. Un poids énorme qui tombe, libère le corps habitué à partager la douleur du mental. La souffrance physique et psychologique vécue par Gabrielle s’allège. Elle suit une thérapie avec une sexologue pour emprunter ce chemin d’introspection et se libérer du passé. Toujours, la tenue d’un journal permet la poursuite de ce travail personnel chez soi. Et alors que l’esprit se délie, le corps se féminise. Gabrielle s’autorise enfin à vivre son identité de genre, le jour, dans le quotidien. Elle laisse pousser ses cheveux, elle porte ce qui lui plait, elle maquille ses trait et arrive à se sentir en phase avec elle-même. La petite fille est vue, elle émerge, maintenant visible à tous… Elle pousse ses premiers cris dans un monde capable de l’entendre. 

Une femme est née.

Se donner parole

Cette femme a des choses à dire! Elle a un propos, une parole, un vécu… Elle doit être vue: pour exister, pour paver une route à d’autres. Et aussi juste pour s’épanouir, parce que c’est elle. Parce que c’est ce qu’elle aime! Parce qu’elle y a droit, dignement, sans compromis: elle-même.

 

Devant la caméra

Elle aurait pu être le genre de personne qui a envie d’être invisible, qui n’aspire pas à être au devant, ça aurait été plus facile… Mais on ne contrôle pas les rêves des petites filles, encore moins la personnalité. Elle est née pour briller, cette enfant qui dans tout ses jeux s’imaginait devant l’oeil d’un public, d’une caméra… Elle avait ce besoin de monter sur une scène même lorsque le miroir et le pronom ne reflétaient pas la Gabbie du dedans. Elle se risque au théâtre, encore étudiante ici dans Charlevoix, malgré la dysphorie qui la ravage. Là, sur scène l’énergie du public est plus enrichissante que les regards ne sont pesants… Elle trouve dans le jeu une euphorie. Mais elle y joue un homme.

Des années plus tard, un film se prépare à faire légende, une légende bouillante d’idéaux passionnés, une légende plastiquement exceptionnelle, une légende au nom qui n’entre dans aucune case: « Ceux qui font les révolutions à moitié n'ont fait que se creuser un tombeau ». Il y a là un rôle pour Gabrielle. Un rôle de femme trans. Un rôle cru. Un rôle puissant. Un rôle faisant d’elle la première femme trans nominées au Prix Écrans Canadiens (meilleure actrice de soutient). Un rôle qui lui offre ce qu’elle a toujours espéré: être vue, à nue, et avoir une place. Un rôle à jouer bien à soi comme preuve qu’une personne trans aussi est utile à la société.


Un rôle utile qu’elle défendra dignement lors d’une entrevue mémorable sur le plateau de l’émission « Tout le monde en parle ». Elle assume maintenant ses responsabilités de personnalité publique trans: celui de modèle pour ceux qui empruntent aussi le chemin de la transidentité et également celui d’éduquer à cette différence ceux qui ,sans la vivre, y seront confrontés tôt ou tard. Brasser les idées par sa simple présence, sa parole. Voilà qui demande du courage, une force intérieure acquise à la dure. 

C’est dans ce courage que Gabbie puise lorsqu’elle s’expose devant l’objectif des photographes. Elle est une femme. Qui plus est, elle est une belle femme. Elle aime l’objectif et l’objectif l’aime. Elle s’offre des séances photos où sa beauté, sa présence, son corps, se pose en affront aux vieilles idées, à l’étroitesse. Sa démarche résonne jusqu’à voir un de ses clichés, une photographie irrévérencieuse et joueuse captée par Yannick Fornaciarri, se retrouver sur le site de Vogue Italia.

Gabrielle a gagné son pari: elle avait une place à prendre et on aime la voir. Elle est invitée à prendre part à d’autres tournages, des projets qui seront visibles bientôt et c’est du bonheur:

Sur un plateau de cinéma, j’ai 8 ans, je suis dans le carré de sable, je m’épanouis.

Par la littérature

La poésie comme expression sensible de l’intime.
Le journal comme thérapie. 
La fiction comme espace de liberté ouvert sur des choses plus grandes que soi.
L’autofiction comme réunion naturelle de ces différents langages littéraires.

Après le recueil de poésie Les secrets de l’origami (2018, Del Busso Éditeur), Gabrielle réaffirme son statut d’autrice en publiant La fille d’elle-même, en 2021 aux éditions le Marchand de feuilles. Débuté dès l’âge de 15 ans, ce récit est d’abord une fiction. Il se transforme de nombreuses fois durant le processus, jusqu’à devenir une autofiction, mêlant extraits de journaux intimes, expériences vécues et péripéties fictifs. Avec le sentiment de contribuer à faire connaître à un large public la cause qui est sienne, Gabrielle a à l’heure actuelle vendues à plus de 10 000 copies de son récit sur la transidentité. Récipiendaire du prix des libraires, La fille d’elle-même est un tel succès que la suite, bien qu’imprévue, s’impose par la demande. Il y aura aussi une adaptation sous forme de série, la question est signée, le processus s’amorce et Gabrielle s’y affaire en tant que conseillère à la scénarisation, tout en gardant ouverte la possibilité d’une apparition à l’écran…

 

La fille d'elle-même

Quatrième de couverture

 

Dans un village à la lisière d’une forêt de conifères, une petite fille se sent différente ;     tout le monde croit qu’elle est un garçon. Souliers toujours trop petits, coupe champignon, elle se fait traiter de fille manquée, fume des cigarettes pour ne plus grandir et traîne pendant toute son adolescence un garçon mort dans son portefeuille, jusqu’à ce qu’elle se donne naissance en quittant la terre à l’origine de sa tristesse.
Épopée identitaire, quête tant amoureuse que sociale, La fille d’elle-même s’insère dans la littérature de la transidentité, une lignée qui va des Métamorphoses d’Ovide à Orlando de Virginia Woolf, mais offre ici le paysage québécois avec son fleuve salé qui avale le mal et la douleur des filles rêvant de mettre le feu.


 

La voix de la nature

Un nouveau roman signé Gabrielle Boulianne-Tremblay nous a été offert l’an dernier dans un écrin vert printanier: La voix de la nature. Encore une fois une enfant, encore une fois dans un village à l’orée des bois. Celle-ci ressemble encore beaucoup à la petite Gabbie, à la différence qu’elle vit déjà sa transidentité. Dès l’enfance, dans ce récit, le personnage explore son identité féminine tant à la maison qu’à son école. C’est une histoire porteuse d’espoir alors que la nature est ici un refuge bienfaisant, un lieu de liberté, une scène où faire du « lip sinc » pour les arbres de la forêt, où s’imaginer en star, photographiée… Où vivre les premiers rêves d’enfant.


 

Pour l’avenir

Écrire les récits initiatiques de jeunes vivant cette différence, porter les personnage trans sur les grands écrans, poser sans masque devant l’oeil des photographes. Tous les jours faire connaître sa réalité via les médias sociaux, les entrevues, les apparitions publiques… Gabbie fonce pour être vue au nom de tout ceux qui ne savent pas s’ils en valent la peine, si ils ont une place… De ses pensées autodestructrices du passé, elle tire maintenant une énergie à se battre pour revendiquer sa dignité.

 Il en reste encore énormément à faire, tant qu’il y a des actes de violence, tant qu’il y a de l’incompréhension, on ne peux pas arrêter… 

Gabrielle utilise sa voix auprès d’organismes comme Interligne (anciennement Gay Écoute) dont elle est porte-parole; pour porter un message d’ouverture, pour éduquer, pour participer à donner aux autres les mots pour se nommer, mais surtout pour qu’on en parle. Les conférences qu’elle offre dans les écoles lui dévoilent une jeunesse plus ouverte et à l’écoute aux enjeux de toute la communauté LGBTQ+.

La femme qu’elle a toujours été veut être présente, mur à mur, pour montrer qu’elle se réalise, qu’elle a une vie, qu’elle est humaine. 

L’avenir est très beau, je suis très optimiste: je fais ce que j’aime.

Avec l’épanouissement vient la paix. Gabrielle a fait la paix avec l’enfance qu’elle a vécue et du même coup avec les lieux de cette période de sa vie. Les grands espaces de Charlevoix ne la font plus suffoquer. Au contraire, ils sont la bouffée d’air essentielle pour apaiser son âme hypersensible aux forts flux d’énergie de la ville ou des autres. Ici, en visite dans son village entre fleuve et forêt boréale, elle se revigore, s’ancre et s’enracine. Après tout, cette nature grandiose aura été le premier théâtre d’une petite fille; d’une femme encore à naître.

 

Si vous ressentez le besoin d'en savoir plus ou de trouver des ressources, l’association Aide aux Trans du Québec (ATQ) est là pour vous.

15 questions à...
Texte
Camille Dufour Truchon
Vidéo
Patrice Gagnon et Sylvain Foster (Caméra), Camille Dufour Truchon (Montage)
Photos
Jade Cormier (Photo d'en-tête), Créations Style Montréal (Photos portait mode), Sylvain Foster (Photos de nature), Julie Langenegger (Photo portrait visage)

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